Wonder Wheel est le 47ème long-métrage de Woody Allen,
réalisateur prolixe par quatre fois oscarisé. L’histoire se déroule dans les
années 1950 dans la station de loisirs de Coney Island et entremêle les destins
de ses quatre personnages principaux. Sous ses faux airs festifs, ce
long-métrage cache cependant un scénario bien plus sombre.
Présentation des personnages
Les protagonistes sont les suivants :
- Mickey (Justin Timberlake), le narrateur de l’Histoire, est maître nageur sur la
parcelle B7 de Coney Island pendant la période estivale. Perché en haut de sa
chaise de surveillance, il se targue d’avoir “une vue d’ensemble” sur les
évènements et c’est à travers lui que nous rencontrons certains des personnages
principaux de l’intrigue. Comme il nous l’indique au début de l’histoire, son
rêve est de devenir un dramaturge célèbre et d’écrire une tragédie.
- Ginny (Kate Winslet) est une ancienne actrice, surement ratée, qui met son
échec sur le dos d’une rupture douloureuse. Aujourd’hui est elle serveuse dans
le parc d’attraction et pense qu’elle mérite mieux. Elle s’est remariée avec
Humpty mais elle n’est pas heureuse et songe à en finir mais elle renonce car
elle a un fils, Richie. Quand elle rencontre son jeune Mickey elle rêve de
s’enfuir avec lui, quitter son mari et vivre de poésie.
- Humpty (James Belushi) est opérateur dans un manège à Coney Island. Comme sa
femme, il est fauché et tente de ne pas retomber dans ses problèmes
d'alcoolisme (et dans la violence). Humpty est comblé lorsque Carolina, sa
fille unique née d’une précédente union, revient vivre chez lui. Malgré des
rapports tendus par le passé, son retour provoque en Humpty une véritable
révolution.
- Carolina (Juno Temple) a rejoint son père car elle est traquée par les
agents de main de son ancien mari, un gangster qu’elle a livré à la police.
Elle pense être en sécurité à Coney Island et s’installe là-bas. Naïve, elle
tente de refaire sa vie en travaillant comme serveuse tout en prenant des cours du
soir pour devenir professeure.
Wonder Wheel est avant tout une tragédie au sens antique du
terme. L’introduction est faite par Mickey. Celui-ci se présente et décrit au
spectateur les grandes lignes de l’histoire à venir de manière directe, en
brisant le quatrième mur. En posant le contexte et en s’adressant directement
au public, Mickey prend le rôle du narrateur, et agit comme dans le premier
acte d’une tragédie grecque. Son penchant pour le drame et la littérature
assumé ne laisse planer aucun doute : cette histoire ne va pas connaître de
happy end.
Tout au long du film, les références aux grands auteurs de
ce genre théâtral abondent : Mickey ne cesse de citer des oeuvres classiques,
entre autres Hamlet de Shakespeare, et d’en parler avec les autres personnages.
Ginny, ne cesse aussi de rappeler à son entourage sa carrière et
les rôles qu’elle a interprétés. Ginny correspond de plus aux canons du personnage
de tragédie. Malgré ses efforts, le destin la condamne à revivre le même sort,
loin d’être enviable.
Le destin joue par ailleurs un rôle prédominant dans Wonder
Wheel. Chacun des personnages, croyant pouvoir améliorer sa condition et
pendant un temps y être parvenu, va tôt ou tard être rattrapé par ses
faiblesses et ses erreurs. Les trajectoires de chacun vont ainsi se rejoindre
dans un final digne des grandes tragédies, avec a la clé comme souvent la
mort de l’un d’entre eux.
Le fils de Ginny, Richie, fait office de leitmotiv au thème
tragique du film : fasciné par le feu, il ne cesse de déclencher des incendies
malgré les efforts de sa famille pour le remettre dans le droit chemin. Tout
comme les adultes, il n’échappe à son sort, et c’est sur lui, seul sur la plage
face à un feu, que se conclut le long-métrage. Ce plan final résume la morale
très pessimiste que propose Woody Allen. Même dans l’enfance, il n’y a pas
d’échappatoire.
On retrouve aussi cette symbolique dans l’omniprésence en arrière-plan
de la Grande Roue du parc d’attraction, qui donne d’ailleurs son nom à
l’oeuvre. Celle-ci symbolise le fait que les personnages croient évoluer mais
retournent finalement à leur point de départ - leur trajectoire est cyclique.
La tragédie se déroulant dans Wonder Wheel entre en
contraste avec les couleurs criardes du parc d’attraction : les décors
ressemblent à du papier mâché, comme s’ils avaient été “posés là”, tout
l’environnement sonne faux. On retrouve de plus une opposition entre le bonheur
et l’insouciance caractéristiques d’un parc de loisirs pendant les vacances
d’été, avec la tristesse et la misère des gens qui y travaillent.
Le film se caractérise aussi par une gestion des couleurs et
des lumières très originale. Le directeur de la photographie est Vittorio
Storaro (triplement oscarisé au cours de sa carrière, pour Apocalypse Now, de
Francis Ford Coppola, Reds de Warren Beatty et Le dernier empereur de Bernardo
Bertolucci). Son travail sur la lumière contribue au moins autant que les
dialogues et la direction d’acteurs à donner au film son identité et pose la
question de la possible reconnaissance d’un directeur de la photographie comme
“co-réalisateur”; particulièrement dans un film comme Wonder Wheel où le
travail sur les couleurs et les lumières est omniprésent. En mettant en place
au milieu d’une même scène des changements brusques entre un éclairage très
saturé dans les tons ocre/orange/rouge et une colorimétrie plus naturelle,
Storaro crée une dualité entre le comique et le tragique, et entre l’idéal et
le réel.
Comme souvent chez Allen, le film est très “bavard”, avec
une abondance de dialogues et une description orale, des situations, des
émotions et des sensations. Si l’on peut reprocher à Wonder Wheel de trop dire
et de ne pas assez montrer, les dialogues et l’exposition par la narration
servent entièrement une mise en forme théâtrale volontairement recherchée. Cet
aspect trouve son apogée dans le monologue final de Kate Winslet, filmé en un
seul plan comme au théâtre, et magistralement interprété.
Si Allen s’inspire largement de la tragédie antique dans la construction de ce
récit, il n’en respecte néanmoins pas tous les codes. Loin d’avoir un rang
social élevé, les protagonistes sont ici des miséreux, se retrouvant parfois
dans des situations risibles. La répétition de ces dernières aboutit à un
résultat tragi-comique. Comme l’a écrit Karl Marx : “Hegel fait quelque
part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques
se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois
comme tragédie, la seconde fois comme farce”.
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