Wonder Wheel (2018) : La roue de l'infortune

Wonder Wheel est le 47ème long-métrage de Woody Allen, réalisateur prolixe par quatre fois oscarisé. L’histoire se déroule dans les années 1950 dans la station de loisirs de Coney Island et entremêle les destins de ses quatre personnages principaux. Sous ses faux airs festifs, ce long-métrage cache cependant un scénario bien plus sombre. 

Présentation des personnages

Les protagonistes sont les suivants :


Wonder Wheel est avant tout une tragédie au sens antique du terme. L’introduction est faite par Mickey. Celui-ci se présente et décrit au spectateur les grandes lignes de l’histoire à venir de manière directe, en brisant le quatrième mur. En posant le contexte et en s’adressant directement au public, Mickey prend le rôle du narrateur, et agit comme dans le premier acte d’une tragédie grecque. Son penchant pour le drame et la littérature assumé ne laisse planer aucun doute : cette histoire ne va pas connaître de happy end.

Tout au long du film, les références aux grands auteurs de ce genre théâtral abondent : Mickey ne cesse de citer des oeuvres classiques, entre autres Hamlet de Shakespeare, et d’en parler avec les autres personnages. Ginny, ne cesse aussi de rappeler à son entourage sa carrière et les rôles qu’elle a interprétés. Ginny correspond de plus aux canons du personnage de tragédie. Malgré ses efforts, le destin la condamne à revivre le même sort, loin d’être enviable.


Le destin joue par ailleurs un rôle prédominant dans Wonder Wheel. Chacun des personnages, croyant pouvoir améliorer sa condition et pendant un temps y être parvenu, va tôt ou tard être rattrapé par ses faiblesses et ses erreurs. Les trajectoires de chacun vont ainsi se rejoindre dans un final  digne des grandes tragédies, avec a la clé comme souvent la mort de l’un d’entre eux.

Le fils de Ginny, Richie, fait office de leitmotiv au thème tragique du film : fasciné par le feu, il ne cesse de déclencher des incendies malgré les efforts de sa famille pour le remettre dans le droit chemin. Tout comme les adultes, il n’échappe à son sort, et c’est sur lui, seul sur la plage face à un feu, que se conclut le long-métrage. Ce plan final résume la morale très pessimiste que propose Woody Allen. Même dans l’enfance, il n’y a pas d’échappatoire.



On retrouve aussi cette symbolique dans l’omniprésence en arrière-plan de la Grande Roue du parc d’attraction, qui donne d’ailleurs son nom à l’oeuvre. Celle-ci symbolise le fait que les personnages croient évoluer mais retournent finalement à leur point de départ - leur trajectoire est cyclique.


La tragédie se déroulant dans Wonder Wheel entre en contraste avec les couleurs criardes du parc d’attraction : les décors ressemblent à du papier mâché, comme s’ils avaient été “posés là”, tout l’environnement sonne faux. On retrouve de plus une opposition entre le bonheur et l’insouciance caractéristiques d’un parc de loisirs pendant les vacances d’été, avec la tristesse et la misère des gens qui y travaillent.


Le film se caractérise aussi par une gestion des couleurs et des lumières très originale. Le directeur de la photographie est Vittorio Storaro (triplement oscarisé au cours de sa carrière, pour Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, Reds de Warren Beatty et Le dernier empereur de Bernardo Bertolucci). Son travail sur la lumière contribue au moins autant que les dialogues et la direction d’acteurs à donner au film son identité et pose la question de la possible reconnaissance d’un directeur de la photographie comme “co-réalisateur”; particulièrement dans un film comme Wonder Wheel où le travail sur les couleurs et les lumières est omniprésent. En mettant en place au milieu d’une même scène des changements brusques entre un éclairage très saturé dans les tons ocre/orange/rouge et une colorimétrie plus naturelle, Storaro crée une dualité entre le comique et le tragique, et entre l’idéal et le réel.


Comme souvent chez Allen, le film est très “bavard”, avec une abondance de dialogues et une description orale, des situations, des émotions et des sensations. Si l’on peut reprocher à Wonder Wheel de trop dire et de ne pas assez montrer, les dialogues et l’exposition par la narration servent entièrement une mise en forme théâtrale volontairement recherchée. Cet aspect trouve son apogée dans le monologue final de Kate Winslet, filmé en un seul plan comme au théâtre, et magistralement interprété.


Si Allen s’inspire largement de la tragédie antique dans la construction de ce récit, il n’en respecte néanmoins pas tous les codes. Loin d’avoir un rang social élevé, les protagonistes sont ici des miséreux, se retrouvant parfois dans des situations risibles. La répétition de ces dernières aboutit à un résultat tragi-comique. Comme l’a écrit Karl Marx :  “Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce”.

Libellés : ,