Les Pentagon Papers sont un rapport de 7000 pages prouvant
la manière dont les Etats-Unis ont fomenté la guerre du Vietnam pendant plus de
10 avant son début, et comment les présidents successifs ont menti au peuple et
au Congrès sur les causes du conflit et la situation des troupes américaines
sur place. Katharine Graham dite Kay (Meryl Streep), directrice du Washington
Post, et Ben Bradlee (Tom Hanks), le rédacteur en chef, se retrouvent en
possession du fameux document, mais font face aux pressions de l’administration
Nixon, qui tient déjà le journal en grippe pour des raisons personnelles. Le synopsis est prometteur, Steven Spielberg signe-t-il un film à la hauteur de son talent ?
Emancipation sur fond de pressions politiques
Le portrait du monde journalistique fait du côté de Kay est
nuancé et cohérent. Se retrouvant à la tête du journal après le suicide de son
mari, celle-ci veut l’agrandir grâce à une entrée en Bourse. L’affaire des
Pentagon Papers éclate donc à un moment où le Washington Post est en besoin
d’argent auprès des investisseurs, mais ne veut pas céder le contrôle aux
actionnaires afin de maintenir ses standards de qualité en journalisme. Kay
fait donc face à de multiples pressions : juridiquement, Nixon menace
d’attaquer le quotidien en justice, financièrement, les banquiers risquent de
se rétracter si ils perçoivent trop de risques.
C’est ce dilemme entre proclamer la liberté de la presse en
publiant le rapport et assurer la pérennité du journal qui va faire évoluer le
personnage. Au départ très (trop ?) timide et sur la défensive, Katharine
Graham s’affirme au fur et à mesure du récit en tant que femme de pouvoir dans
un monde dominé par les hommes. L’interprétation de Meryl Streep, qui nous a peu convaincus dans la partie introductive du film, gagne en crédibilité au fil
de l’évolution de son personnage.
Une vision du journalisme très romanesque
Si Meryl Streep et son personnage finissent par nous
convaincre, c’est un peu moins le cas avec le rédacteur en chef
Ben Bradlee. Le
personnage de
Tom Hanks se caractérise comme un battant et rebellé contre le
pouvoir, qui n’hésite pas à taper du poing sur la table. Son combat pour
défendre la liberté d’expression est dépeint de façon très idéalisée, voire un
peu cliché si l’on y ajoute l’aspect très paternaliste du personnage, qu’il a
même vis à vis de sa patronne. A ce regard, le personnage interprété par
Bob
Odenkirk (
Breaking Bad,
Better Call Saul), journaliste dans l’équipe du
journal, nous paraît plus convaincant. On aurait préféré voir un portrait plus
nuancé de ce héros humaniste, à qui
Spielberg donne raison jusqu’au bout,
jusque dans une conclusion solennelle et peut-être un peu trop optimiste. Cette
image hollywoodienne du journalisme ne prend malheureusement pas en compte la
situation contemporaine de la profession, plus menacée que jamais, faisant
encore face aux mêmes pressions qu’en 1972.
Steven Spielberg, maître du suspense
Bien que Spielberg offre une morale ne faisant pas dans la
finesse, ses choix de mise en scène et de cadrage assurent à eux seuls
l’intérêt du spectateur. La scène introductive, montrant l’embuscade d’un
régiment américain dans la jungle vietnamienne, à couper le souffle malgré la
parcimonie d’effets visuels, se termine sur une machine à écrire, marquant
l’importance à venir de la presse dans ce conflit.
De plus, alors qu’il ne se passe presque rien de
visuellement marquant pendant le reste du film (qui consiste essentiellement en
une succession de scènes montrant des personnages qui parlent dans des pièces
ou marchent dans de longs couloirs), la manière très fluide et dynamique qu’a la caméra de se mouvoir entre eux maintient le suspense à un niveau élevé
et crée la tension nécessaire à l’immersion. On pense notamment à la manière dont la
caméra tournoie autour de Meryl Streep avant qu’elle n’ait à prendre une
décision, ou encore une conversation au téléphone à cinq personnes, qui prend
une dimension dramatique uniquement grâce son montage très bien rythmé.
La musique de
John Williams, discrète mais néanmoins efficace, renforce
la sensation d’urgence de toutes ces situations.
|
Nixon, toujours montré de dos et dont on entend de véritables enregistrements, fait un très bon antagoniste |
Peu de reproches peuvent être faits à Pentagon Papers sur la
forme. Steven Spielberg confirme encore une fois son génie derrière la caméra
avec ce thriller politique haletant et rythmé, qui n’ennuie pas une seule
seconde. On regrette tout de même sa morale relativement manichéenne et
simpliste, et le rôle trop caricatural de Tom Hanks.
Libellés : Coup d'Etat, Coup d'oeil dans le rétro, Coup d'un soir, Coup dur