Pentagon Papers (2018) : secrets d'Etat

Les Pentagon Papers sont un rapport de 7000 pages prouvant la manière dont les Etats-Unis ont fomenté la guerre du Vietnam pendant plus de 10 avant son début, et comment les présidents successifs ont menti au peuple et au Congrès sur les causes du conflit et la situation des troupes américaines sur place. Katharine Graham dite Kay (Meryl Streep), directrice du Washington Post, et Ben Bradlee (Tom Hanks), le rédacteur en chef, se retrouvent en possession du fameux document, mais font face aux pressions de l’administration Nixon, qui tient déjà le journal en grippe pour des raisons personnelles. Le synopsis est prometteur, Steven Spielberg signe-t-il un film à la hauteur de son talent ? 

Emancipation sur fond de pressions politiques

Le portrait du monde journalistique fait du côté de Kay est nuancé et cohérent. Se retrouvant à la tête du journal après le suicide de son mari, celle-ci veut l’agrandir grâce à une entrée en Bourse. L’affaire des Pentagon Papers éclate donc à un moment où le Washington Post est en besoin d’argent auprès des investisseurs, mais ne veut pas céder le contrôle aux actionnaires afin de maintenir ses standards de qualité en journalisme. Kay fait donc face à de multiples pressions : juridiquement, Nixon menace d’attaquer le quotidien en justice, financièrement, les banquiers risquent de se rétracter si ils perçoivent trop de risques.


C’est ce dilemme entre proclamer la liberté de la presse en publiant le rapport et assurer la pérennité du journal qui va faire évoluer le personnage. Au départ  très (trop ?) timide et sur la défensive, Katharine Graham s’affirme au fur et à mesure du récit en tant que femme de pouvoir dans un monde dominé par les hommes. L’interprétation de Meryl Streep, qui nous a peu convaincus dans la partie introductive du film, gagne en crédibilité au fil de l’évolution de son personnage.


Une vision du journalisme très romanesque

Si Meryl Streep et son personnage finissent par nous convaincre, c’est un peu moins le cas avec le rédacteur en chef Ben Bradlee. Le personnage de Tom Hanks se caractérise comme un battant et rebellé contre le pouvoir, qui n’hésite pas à taper du poing sur la table. Son  combat pour défendre la liberté d’expression est dépeint de façon très idéalisée, voire un peu cliché si l’on y ajoute l’aspect très paternaliste du personnage, qu’il a même vis à vis de sa patronne. A ce regard, le personnage interprété par Bob Odenkirk (Breaking Bad, Better Call Saul), journaliste dans l’équipe du journal, nous paraît plus convaincant. On aurait préféré voir un portrait plus nuancé de ce héros humaniste, à qui Spielberg donne raison jusqu’au bout, jusque dans une conclusion solennelle et peut-être un peu trop optimiste. Cette image hollywoodienne du journalisme ne prend malheureusement pas en compte la situation contemporaine de la profession, plus menacée que jamais, faisant encore face aux mêmes pressions qu’en 1972.


Steven Spielberg, maître du suspense

Bien que Spielberg offre une morale ne faisant pas dans la finesse, ses choix de mise en scène et de cadrage assurent à eux seuls l’intérêt du spectateur. La scène introductive, montrant l’embuscade d’un régiment américain dans la jungle vietnamienne, à couper le souffle malgré la parcimonie d’effets visuels, se termine sur une machine à écrire, marquant l’importance à venir de la presse dans ce conflit.



De plus, alors qu’il ne se passe presque rien de visuellement marquant pendant le reste du film (qui consiste essentiellement en une succession de scènes montrant des personnages qui parlent dans des pièces ou marchent dans de longs couloirs), la manière très fluide et dynamique qu’a la caméra de se mouvoir entre eux maintient le suspense à un niveau élevé et crée la tension nécessaire à l’immersion. On pense notamment à la manière dont la caméra tournoie autour de Meryl Streep avant qu’elle n’ait à prendre une décision, ou encore une conversation au téléphone à cinq personnes, qui prend une dimension dramatique uniquement grâce son montage très bien rythmé.  La musique de John Williams, discrète mais néanmoins efficace, renforce la sensation d’urgence de toutes ces situations.  

Nixon, toujours montré de dos et dont on entend de véritables enregistrements, fait un très bon antagoniste

Peu de reproches peuvent être faits à Pentagon Papers sur la forme. Steven Spielberg confirme encore une fois son génie derrière la caméra avec ce thriller politique haletant et rythmé, qui n’ennuie pas une seule seconde. On regrette tout de même sa morale relativement manichéenne et simpliste, et le rôle trop caricatural de Tom Hanks.


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