Le Grand Jeu est le premier film d’Aaron Sorkin, scénariste
reconnu auteur entre autres du très bon The Social Network (2010) de David
Fincher. Pour ses débuts derrière la caméra il s’attaque à l’histoire
incroyable mais vraie de Molly Bloom, ancienne skieuse professionnelle devenue
organisatrice de tournois de poker clandestins. Ce premier film remporte-t-il
la mise ?
Une femme de pouvoir
Après Zero Dark Thirty, Interstellar ou encore Miss Sloane,
Jessica Chastain interprète Molly Bloom, et confirme encore une fois être une
actrice de haut niveau. Elle saisit complètement ce personnage, son passé et
ses enjeux, et crève l’écran pendant près de 2h30. Bloom est omniprésente dans
toutes les scènes, que ce soit physiquement ou par intermédiaire d’une voix off
narrant les évènements. De par sa carrière de sportive de haut niveau, elle
s’est forgée un caractère persévérant, ambitieux et réfléchi. Contrainte
d’abandonner sa passion et le rêve des Jeux Olympiques, elle parvient à une
ascension fulgurante en saisissant les opportunités qui s’offrent à elle, les
coups dur qu’elle subit devenant des tremplins à sa réussite.
Molly Bloom devient ainsi une femme puissante et côtoie
l’élite : acteurs, sportifs, politiques et hommes d’affaires. Tout ce beau
monde est exclusivement masculin (on ne voit pas une seule femme à la table de
poker), et bien qu’extrêmement influents, les joueurs doivent tous se plier à
ses règles. On apprécie de voir ce genre de personnage féminin représenté à
l’écran, d’autant plus que le film a l’intelligence d’attribuer la réussite de
Molly à son intellect et non à son physique. Oui, une femme peut être sexy et
intelligente sans avoir besoin d’user de l’un pour servir l’autre.
Cette femme est tout de même présentée de manière tellement
intègre qu’on a du mal à y croire. Molly ne se laisse que très peu corrompre
par le milieu dans lequel elle évolue : elle tente de soigner l’addiction de
certains joueurs, refuse d’entrer dans l’illégalité en prenant une commission
(au moins pendant un temps) ou en recouvrant les dettes des joueurs par la
force. Aaron Sorkin explique cependant s’être basé sur le livre
autobiographique de Molly Bloom, qui dresse elle-même ce portrait improbable.
Jessica Chastain parvient malgré tout à rendre cette femme crédible et à
susciter de l’empathie.
Un scénario bien ficelé
Le scénario se base sur le principe du “rise and fall”, qui
décrit l’ascension d’un personnage, son apogée et sa chute. Si le Grand Jeu ne
réinvente pas le genre, l’ensemble fonctionne quand même bien. Sa construction
sur trois temporalités qui s’entrecroisent à coup de flashbacks
(enfance/adolescence, carrière dans le poker, procès) donne du rythme au film
et sert le propos. La Molly Bloom que l’on entend en voix-off est celle du
présent (juste avant le procès), ses commentaires détachés sur les évènements
apportent ainsi une touche originale.
Le film parvient par ailleurs à trouver un bon équilibre
concernant le monde du poker, et réussit à être pédagogue pour les néophytes
sans en devenir rébarbatif. On apprécie également la distinction faite entre le
jeu et l’addiction, qui évite l’écueil de la publicité préventive.
Enfin, si Jessica Chastain vole la vedette, les seconds
rôles sont efficaces : Idris Elba (l’avocat Charlie Jaffey) et Kevin Costner
(le père) livrent une bonne interprétation.
Si le Grand Jeu souffre parfois de quelques longueurs (on
pense à la trop longue scène de réconciliation entre Molly et son père), Aaron
Sorkin rafle quand même la mise avec ce biopic surprenant et féministe (?).
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