The Square (2017) : un film trop carré ?


Coup de théâtre à Cannes, le suédois Ruben Östlund (Snow Therapy) remporte la Palme d'Or face à 120 Battements par minute, grand favori de cette édition 2017. Pedro Almodovar, président du jury cette année, le décrit comme un film "extrêmement drôle contre la dictature du politiquement correct". The Square est-il à la hauteur de sa récompense ? 

Synopsis

Christian, conservateur d'un musée d'art contemporain de Stockholm, termine les préparatifs de la nouvelle exposition du musée, articulée autour d'une oeuvre intitulée "The Square", un carré lumineux installé sur la place devant le bâtiment, accompagné d'une plaque explicative :  «The Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs. » Christian est lui aussi l'une de ces personnes morales qui croient à la solidarité. Victime de pickpockets qui abusent de sa confiance, ses principes vont cependant vite être remis en question. 

Claes Bang dans le rôle principal

Une satire sociale acérée 

Östlund s'attelle dans ce long-métrage à déconstruire les codes de conduite de la bourgeoisie (suédoise) et de la "bien-pensance" de l'intelligentsia, pour en révéler l'hypocrisie et l'égoïsme. Christian perd vite sa conscience altruiste qu'il mettait en avant pour promouvoir son exposition, et s'engage dans une quête de vengeance qui le mène au contact des classes sociales défavorisées, face auxquelles il va perdre tous ses repères. Faire confiance à autrui s'avère bien plus dur que prévu...
Le film met la "gauche caviar" face à ses contradictions avec cynisme et humour, en mettant à nu la manière des individus de justifier leur confort avec de grands discours trop peu souvent accompagnés d'actes concrets. 
Le propos est d'autant plus pertinent qu'il s'inscrit dans une réalité de la société suédoise contemporaine confrontée à l'afflux d'immigrés qui viennent bousculer le modèle socio-libéral établi. Dans The Square, la figure de l'autre n'est pas seulement pauvre voire sans-abri, elle est aussi bien souvent étrangère.
Le summum de cette déconstruction est atteint lors d'une longue scène où un dîner de gala est perturbé par un performeur (Terry Notary,) imitant un singe dominant réduit l'assemblée au silence, affichant la lâcheté de l'Homme contemporain jusqu'au malaise.


La fameuse scène avec Terry Notary en homme-singe

Le difficile parallèle avec l'art contemporain

Non content de critiquer les codes sociaux, Östlund vise frontalement la pertinence et l'inconsistance de l'art contemporain qui enthousiasme les élites soucieuses de se montrer cultivées. Les oeuvres exposées dans le musées sont filmées de façon à paraître presque ridicules et grotesques. La critique est cependant ici moins percutante et ressemble un peu trop aux moqueries classiques adressées à l'art contemporain. La campagne de communication autour de l'exposition visant à choquer et à faire le buzz plutôt que de donner du sens à l'oeuvre n'est d'ailleurs pas assez convaincante pour justifier le propos.


Une mise en scène trop formelle

Cependant, si le jeu d'acteurs est très convaincant, notamment de la part de Claes Bang qui interprète Christian, le résultat est bien trop démonstratif. Là où on devrait rire, s'indigner ou s'émouvoir, on reste juste vaguement amusés par l'ironie des situations, mais sans plus. Finalement, la critique sociale de The Square, bien que très intéressante dans l'idée, manque de personnalité et n'apporte pas d'émotion au spectateur, qui risque de se perdre dans un propos parfois trop intellectuel.

On peut tout de même remarquer la qualité de la bande-son du film, qui alterne musique classique et électro, avec notamment l'excellent Genesis de Justice, que l'on peut retrouver dans la bande-annonce.


Östlund nous livre donc un long-métrage qui enfonce bien le "politiquement correct", mais qui se prend trop au sérieux pour être réellement drôle, et c'est toute l'intensité de sa satire qui en pâtit.

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